Jean Sentrais artiste peintre vagabond des êtres et des choses — contact : 113sentrais@caramail.fr
Jean SentraisA better life : Charlotte Lembourn *
Introduction au visiteur : les textes qui suivent relatent les évènements que j'ai eu à vivre lorsqu'à défaut de logement et de ressource je me suis retourné vers les structures de l'Action sociale de la Ville de Chinon. Chinon, où je réside depuis deux ans. Ces textes sont de réels emails que j'ai adressés aussitôt qu'ils furent écrits à une amie, Laure Matarasso.
Laure et moi nous connaissons depuis près de vingt-cinq ans. Nous nous sommes rencontrés dans la librairie-galerie que son père Jacques avait à Nice, sur la Côte d'Azur où je venais de débarquer en 1989. Depuis, Jacques lui a légué la boutique. Je leur rendais visite périodiquement, y présentant souvent mes nouvelles créations. Laure pourrait prétendre bien me connaître, ou à défaut bien connaître mes œuvres. Au-delà de mon départ de Nice en 2010, nous échangeons quelquefois les dernières nouvelles ... dont celle de mon indigence. Je n'ai pas souhaité exhiber cette indigence, ou par le pire exercice ce n'était pas un but en soi ; or bien parce que je la considérais indécente et obscène, je tenais à la dénoncer. La conjurant par là-même, peut-être.
J'ai repris l'écriture des emails que j'ai adressés à Laure de semaine en semaine, juste pour en corriger ici l'orthographe, la syntaxe et la grammaire lorsque celles-ci avaient été malmenées par la vague d'un évènement et d'une émotion. Je présente ces emails ci-après, de façon telle que la chronologie des faits relatés retrace la tourmente de mes jours passés. Mes jours actuels sont apaisés. Mais pour ceux que j'ai écrits, ou ré-écrits ils revêtent un caractère authentique : s'il m'avait été possible d'en percevoir l'immédiate destinée, une longueur de temps a été parfois utile afin de comprendre ce que ces jours avaient pu signifier ; car l'indigence m'a emmené sur des océans agités. Écrire ces jours m'a été salutaire, rattrapant ces jours au vol par la queue avant qu'ils ne s'éloignent définitivement, afin qu'ils me délivrent, captifs leurs étranges secrets. Et parce que j'ai aimé rire des évènements, le visiteur y verra peut-être de l'humour grinçant et de la dérision cinglante. Je pense n'avoir jamais été méchant envers certains vilains crétins ; seulement rétif à la crétinerie dont ils prétendaient être le vecteur plénipotentiaire ... Le visiteur conviendra que cela n'est jamais chose facile, de ne blesser personne lorsqu'une urgence commande de pagayer hardiment !
Certes, j'eus pu prévenir ce qui constituait une descente, un plongeon aux abîmes de l'indigence. Paradoxalement cette descente s'est effectuée lentement, inexorablement durant sept années. Quoi qu'à me débattre pour ne pas sombrer, un naufrage est toujours brutal, presqu'effroyable ; surtout quand on passe sous une certaine ligne de flottaison, ou quand on chavire rondement. En penser que cela était injuste aurait été inutile. Il y eut mieux à faire, comme ne pas m'abandonner au prétendu sentiment d'injustice, ni au découragement ni à l'effroi. Or les grands efforts que j'avais entrepris dernièrement avaient été de présenter mes nouvelles œuvres à Paris en décembre 2014, puis un certain 6 janvier 2015, à la veille d'un jour funeste pour la capitale et la France. Les quelque cinquante galeries d'art contemporain que j'avais approchées n'ont décliné aucun intérêt concret pour mon nouveau Triptyque ; les raisons essentielles de cet embarras ont été, m'ont-elles semblé l'assèchement progressif puis total du marché de l'art sur la place parisienne ... En réalité, et à l'instant où je rédige cette introduction, je n'ai encore vendu le moindre tableau depuis deux longues années ! Malgré tant d'engagement ou tant de persévérance. Et nous avons été nombreux, innombrables parmi les plasticiens à vivre un tel sort. Que nous soyons anonymes ... ou célèbres.
L'indigence s'offrit à moi : idiote, furieuse et irascible. J'ai du apprendre à la dominer, à la dompter tout le temps qu'elle m'a accompagné ; j'appris vite à en discerner l'un des pièges les plus sournois : ma propre vanité.
Bien des choses resteraient à dire sur le désastre de l'art contemporain ; ne l'a-t-il lui-même organisé par le jeu effrené de la spéculation financière, idéologique et ... sectaire ? En somme n'est-il pas une image grinçante de la vie sociale, économique, politique ?
Cordialement vôtre,
Jean Sentrais, artiste peintre.
Vagabond des êtres et des choses ? Je ne pensais pas que la locution amicalement ubuesque que j'avais rédigée en 1983 pour me présenter se révèlerait aujourd'hui d'une âpreté mordante, et plutôt redoutable ... En somme, j'ai toujours été baroque ; cela semble même avoir été écrit sur mon front le jour de ma naissance.
Chinon, le 28 mars \\\ édition : 15 avril 2015.
Le 21 février 2015
Bonjour Laure.
Par l'incongruité de demeurer un Belge provisoire depuis le jour de ma naissance, je ne savais pas qu'un autre surréalisme me poursuivrait également en France.
J'émarge actuellement du Centre Intercommunal d'Aide Sociale (CIAS) de Chinon pour un hébergement d'urgence. Leur politique est d'offrir cet hébergement pour une durée de trois jours et nuits non-renouvelable. S'il avait été hôtelier et pluriel, le Centre se serait appelé les CHIASs. C'aurait été peut-être une consolation.
J'y ai expliqué avec tout le discernement que je puisse exercer que oui ! je suis artiste peintre, et tout à fait pauvre en ce moment. L'on m'a rétorqué que mes noms civil et artistique procèdent de façon évidente d'une maladie mentale. Voilà que je suis schyzo :
-"Vous êtes artiste peintre surtout dans votre tête."
Avec une réelle tristesse qui n'était pas feinte, j'ai ensuite livré quelques traces de moi sur le web et le contenu de mon ordinateur portable, puis ai retourné aux fonctionnaires du CIAS un aspect de leur propre monde : un-truc-un-machin quelque peu factice, plutôt illusoire, pas tout à fait débile mais presque car, un alias n'est-il pas une tradition bien française ? Aussi ont-ils ont été stupéfaits d'apprendre par ma voix douce aux accents suaves dans les sanglots, que par exemple Eric Orsenna est mieux connu de l'Etat civil sous l'identité de Eric Arnoult : Plume de François Miterrand, Prix Goncourt, Membre du Conseil d'Etat, Immortel de l'Académie française ...
Ils ont finalement daigné mener la procédure de ma domiciliation légale en leur adresse ; mais sur leur document officiel, je viens de constater que j'y apparais être né en ... 1937 ! Ce qui me fait 78 ans. Et après m'avoir domicilié à Chinon hier vendredi, ils m'expédieront à Bourgeuil dès lundi matin ... malgré le rendez-vous que je devrai honorer auprès de monsieur l'Adjoint à la Culture de Chinon. Hi hi hi ! Je sens bien que ça finira par faire désordre ... par un jeu de cercles excentriques d'éloignement.
Et lorsqu'ils ont singé de soulever une tasse de thé, ils susurrèrent d'envisager de me résoudre par une pause de cuillère :
-"De tous, vous êtes notre point noir."
Juste un comédon en somme, qui voit dans un miroir son factotum.
Toutefois, j'avais demandé de pouvoir m'entretenir avec une personne responsable, c'est-à-dire Le chef. Tu ne doutes pas, Laure, que nul quidam répondit :
-"Présent !"
Né en 1937. Alors, bonjour la rigolade pour les démarches que j'aurai à soutenir ultérieurement. Déjà mon Pays n'avait accepté de reconnaître ma naissance au Congo belge qu'en 2013 tandis qu'en cette Belgique, entretemps, j'avais été pourvu d'une pièce d'identité de Belge provisoire. Avoir été et être encore un Belge provisoire ? Je glisserai sous un silence contrit les tracasseries humiliantes de mon enfance ... qui se perpétuent lorsque je visite l'un de mes Consulats. Mon passeport actuel présente une date de validité dépassée : ainsi m'invite-t-on à croire que j'ai cessé d'être moi, ou que je suis périmé. Au choix.
Suis-je simplement submergé par un tel déluge de crétins qui alimente mes rires ?
Je ne supposais guère trimbaler la jolie casserole d'un surréalisme. Encore et toujours, car ne demeurer personne auprès des Administrations tant belges que françaises durant toute une vie -je m'en suis accomodé-, cela me vaudra à coup sûr pour seul éloge funèbre à 158 ans :
-"Il est mort très vieux : ce devait être quelqu'un."
Précédant ce jour sinistre, l'Antenne chinnonaise du Conseil général d'Indre-et-Loire distribue allègrement un prospectus. Celui-ci m'est apparu incongru :
-"Français ou étranger ?"
La mention d'un Membre de l'Union européenne y est proscrite. Forfaiture ou infamie ?
Tous nos lendemains sont si incertains ... que l'on m'avoua finalement que le désastre serait à venir, comme s'il n'était pas déjà présent. Le mais-oui-mais-non est merveilleusement surréaliste, certes mais délicieusement belge.
Le 27 février 2015
Voici ce que j'ai rédigé à ton attention ces jours derniers.
Comprends qu'un spot wifi de connexion au web pour les personnes itinérantes (errantes et déserrantes) participe de la fracture et de la facture numérique. Parmi les 350 mille esdéefs de 2013 (combien en 2015 sinon 420 mille ?) j'apparais être le premier à me présenter à Chinon comme nécessiteux de vouloir garder un contact par email et wifi ; certes, n'être pas le premier par connexion au web par téléphone. Mais ceux-ci parmi les esdéefs qui disposent d'une ligne active par gsm (T portable), ils ne sont toutefois pas majoritaires ... à balader un pécé portable.
Ainsi mon indigence s'est installée ; c'est un paradoxe douloureux.
J'ai été transpahutté de Chinon à Bourgueil pour trois jours et autant de nuits. Puis autant de jours et de nuits depuis mon retour à Chinon, au même logement d'urgence.
Les Services sociaux commencent à agiter le sémaphore d'une peur panique : j'ai avoué mon désavantage de les encombrer. Non que cela me plaise ou que cela ne me plaise pas. J'osai leur rappeler que si quelqu'un restait à la rue, ce serait plutôt moi. En l'occurrence d'une récurrence.
J'étais hier matin de retour à Chinon. Sa CAF en la jolie personne d'une belle et jeune dame a récipiendé ma requête au RSA. La grande chambre de son bâti de pierre de tuffeau servant de Bureau, oblique aux réverbérations sonores dignes de l'écho des Alpages me fit frémir (un virus stalinien l'avait investi) : car ma clef usb ne pouvait être considérée qui relate trente années d'activité picturale en 228Mo (mega-octets). Cette clef pèse quelques grammes, pour trente années qui "ne pèsent pas lourd" en somme. Quant à la double page manuscrite accompagnant madite requête : '"Mais oui mais non" a-t-elle considéré. Ma requête sera débattue prochainement en Commission ordinaire, la semaine prochaine au Conseil général du Département d'Indre-et-Loire.
J'ai eu envie de créer sur-le-champ un Bureau de Certification des Données numériques (c'est-à-dire : certifiant aucun Logiciel malveillant), qui eût pu créer dès ce soir cent-vingt emplois. Car les Administrations françaises sont à ce jour particulièrement dépourvues ... hors la Direction centrale du Renseignement intérieur et extérieur.
Le bel Hollande n'envisage que de permettre d'apprendre à cliquer à l'Ecole sur les bonnes (?) touches d'un ordinateur, dans sept ans. Ce n'est en aucun cas apprendre à programmer (12 langages de code à utilité du www web). Ni à créer un site web (comme au States ou au Canada) ni un bon CV en ligne.
Le CERN franco-international est affolé qui avait inventé le fastueux www web ! Juste pour mieux disserter de génies à génies. Mais la future indigence numérique des Français les fait frémir d'effroi : pianoter un smart-phone en mangeant des loukoums dans le sofa de ses parents, c'est un peu différent de créer un site web (j'en sais kekchose ... )
Ce qui en ressort est ceci : la gestion administrative d'une population se révèle nécessaire, mais elle n'est utile à rien. Or une vision politique doit être utile, ne semblant jamais nécessaire. C'est un peu comme la rencontre de deux personnes : s'ignorer beaucoup, ou s'apprécier un peu.
C'est tout l'infâme paradoxe auquel le mini premier ministre actuel français est confronté. Son indigence devrait être pire que la mienne si d'aventure lui et son Président n'orientaient vite un certain tumulte ambiant vers le façonnage de quelques jeunes, vrais et solides talents. Hé ! c'est l'Europe de demain.
L'émergence de X. N. pdg de Free est la renaissance du fer de lance français face à ce que l'idiot ex-pM Michel Rocard avait procédé : la vente du réseau national français de cuivre téléphonique aux moins-offrants. Profond factotum de tout et de rien, X. N. en est devenu un grand prédateur, même sur le sol étatsunien ... Géopolitique, me-diras-tu ? Juste une survie nationale, mais ne procédant ni de N. Sarkozy, ni de F. Hollande car de bonnes surveillances nationales se sont réveillées juste à temps qui ne sont ni industrielles ni financières : ce furent quelques vieux sages académiques et scientifiques, pas politiques pour un centime d'euro parce que l'urgence était et est cruciale. Alors, si d'aucun FAI freeze en ses fesses, c'est tout pile-poil ! de faire pisser l'oseille un peu moins qu'avant.
-"Misère et décacence. Ô toi ma Civilisation. Ou toi ma belle païse qui es Europe, te vois-tu seulement à te vautrer dans la concupiscence de ta fin ! Permets, divine Seigneuresse que je te contredise, que je te contrebatte et que je te contrefasse afin de ne pas sombrer avec Toi."
La grosse fonctionnaire de l'accueil à la mairie de Bourgueil m'avait confisqué mon passeport pour le temps de mon séjour. Connais-tu, Laure, ces fonctionnaires féminines qui pratiquent un singulier sport national : poser deux belles miches sur un bureau d'accueil, escomptant qu'un sublime baron du crû les leur relève et les leur batte un soir de frattras. Le temps de mon séjour (et de mon sénuit) sur son territoire fut des plus baroques : m'a été servi une énorme gamelle de vulgus propre aux cochons, javellisée qui a piqué ma gorge et mes yeux. Au temps de quitter hier matin Bourgueil, j'ai mentionné à la grosse et à ses miches que mon ambassade à Paris en serait informé car :
-"A Bourgueil j'aime bien les grosses miches, mais beaucoup moins leur mangeoir."
Cela ne procède pas de mon chef de mordre la main qui me nourrit, car il s'agit en substance de bien autre chose.
L'Antenne chinonnaise du Département d'Indre-et-Loire confirme selon ses propres critères :
-"Êtes-vous Français ... ou étranger ?"
Stupéfiant, non ?
L'Ambassade de Belgique certifie :
-"Vous êtes plus de 120 mille Belges résidant en France. C'est normal d'attendre huit semaines pour obtenir notre réponse."
Heureusement, je ne suis pas un touriste évaporé dont on a volé les papiers d'Identité. Quoique.
Ainsi, vu de tout horizon ce serait normal d'être un Belge tardif en Pays étranger. Slougi ! j'avale une couleuvre diplomatique tandis que la Ministre belge (obèse) de l'Economie susurrait dernièrement :
-"Nous reprenons la moindre allocation aux étrangers dont à ceux de l'UE !"
Exigeant le remboursement de toute aide financière -ce qui est absolument inique- elle ne put contenir un rot d'aisance : c'est normal, elle bouffe plus que de raison. Donc son délire est irrationnel, et ceci est propre aux mœurs politiciennes qui ne connaissent rien du grand Machiavel.
Bon ! J'aime à penser que tout cela n'est qu'un doux rêve, parce que mon réveil est autrement cruel.
À toi Laure, mes bises perpétuelles,
Jean.
Post-scriptum.
Non par dépit, j'ai confié ma clef usb à une jolie serveuse du Café des Arts de Chinon qui n'a de fonction que son nom (le Café : non ; la serveuse : on verra). Toute assoiffée de boire sa propre vie, la damoiselle reçut mon inclination comme un joli compliment. Un tableau naîtra-t-il de notre idylle ? Ou notre enfant naîtra-t-il de son hymen ? A tout te dire, j'espère les deux ... qui sembleront résoudre, non réduire, une condition humaine meilleure qu'une absence de lendemain.
Le 1er mars 2015
Note : ce dimanche 1er mars 2015, je viens d'apprendre que la demoiselle envisagée est lesbienne. Aussitôt devin mais était-ce trop tard ? je sus que mon expression sentimentale et artistique a engagé un tumulteux débat en son couple. Bon ! je devine également que je vais être haï ... et c'est peu de chance pour moi. Et c'est égal d'en rire car je m'abstiendrai de tout -et de l'Icelle- dorénavant.
Autre chose hallucinante : maintenant que mon site web http://sentrais.fr a fermé -il y a neuf mois faute de ma part d'honorer le renouvellement de son hébergement (à 28,68€/an)- une certaine personne a lancé sur un forum du web une requête publique pour obtenir mes coordonnées. Est également vrai que mon compte FaceBook (mon alter face de bouc) a été cloturé par mes soins dernièrement.
Daigne noter, Laure, que mon site web et moi-même sommes esdéefs (sans hébergement pérène). C'en est amusant.
Cette personne est : Gerbrich Reynaert, que j'avais (dé)peinte autrefois en quelque 136 portraits (dont tu possèdes 4, 6 ou 8 exemplaires ?). Désirante damoiselle, elle avait été très fâchée de moi un soir réitéré, à cause de mon paradoxe imbécile de n'être pas parvenu à la séduire ! Comprenne qui pourra ... Et voici qu'elle jette une bouteille à la mer sur un forum :
-"Bonjour, je suis à la recherche des coordonnées de Jean Sentrais ?" (avec dé fotes d'ortografe dignes d'un bel inculte du langouiche de Maulierre).
Tandis que quelqu'un visitait mon site depuis Amsterdam périodiquement, et qu'est avéré que Gerbrich se rendait périodiquement à Amsterdam, je m'interroge béatement parce que l'une de mes adresses imel apparaissait explicitement sur mon site, mais que depuis vingt ans, je n'ai reçu plus aucune nouvelle d'elle. Je n'en ai guère donné davantage ! la seule fois en 2006, je crois, et ce fut sans réponse. Je dois admettre que Gerbrich a toujours pensé qu'une chose ayant existé, celle-ci existerait toujours. Comme un "non" est un "non". Comme "peut-être" restera toujours "peut-être" ; le rouge était couleur préférée il y a vingt ans, aujourd'hui c'est le rouge encore. Idiote et méchante hier, idiote et méchante aujourd'hui. Mais amoureuse impossible, et impossible amoureuse.
Ce qui m'avait également subjugué chez la Princesse d'autrefois, c'était la lenteur de son esprit. Non qu'elle fût malade. Mais elle semblait avoir convenu avec elle-même qu'une lenteur d'esprit lui conférerait de la permanence en toute chose. Comme un "non" est un "non", etc. Ca y est, je tourne déjà en rond.
C'est le propre en somme, ou le comble ! d'une Flamande : être de la pareille à la même, à l'envers ou à l'endroit, virtuelle ou bien réelle. Un clone d'elle-même en somme, ennuyeux et immortel. Mais bon ben voilà ! je ne suis pas Flamand moi, j'ai évolué et j'évolue, et mon site a disparu du web. Je n'ai même plus de T.
T pour téléphone. T pour toit.
Circonspect voire très expérimenté de la technologie du web (et de certaines mauvaises pratiques !), le responsable du forum n'a pas engagé sa responsabilité de me livrer tout cuit à la requérante, mais il m'avertit derechef qu'un objet flottant non-identifié voguait et divaguait à la dérive sur son site ; d'un clic bien ajusté, j'appris aussitôt que ladite requête prétendument gerbrichienne avait été postée depuis Stockholm en Suède.
N'ayant pas pu être heureuse autrefois sur les rives de la Méditerranée, elle doit s'essayer aujourd'hui à poser les fesses dans les fjords en plein hiver pour penser à moi ...
Je ne suis pas méchant ce soir. Juste un peu décalé.
Je te conterais, chère Laure, que rien n'est jamais fini entre un homme et une femme dès lors qu'un grand quelque chose s'était engagé entre eux, jadis. Et je sais que tu le sais. Mais parce que Gerbrich est Flamande, je sens que je devrai pratiquer sa langue pour mieux me faire comprendre finalement ... après 26 ans d'une épique -et fastueuse- rencontre. Franchement, de la part de Gerbrich dont il m'avait fallu apprendre au-delà de toute mon inclination à ignorer la simple vie jusqu'à la seule l'existence, je crains aujourd'hui le pis comme le baiser d'une scorpionne. Toutefois, ma préférence actuelle est d'opter prudemment pour un hack qui eût forcé son compte de messagerie _._@hotmail.com
C'est ce que je viens de lui répondre officiellement ; rétorque apposée d'une question historique, personnelle et subsidiaire. Non ! pas une histoire de grain de beauté mouché quelque part sur mon corps ; mais ça aurait pu l'être (soupirs, soupirs, soupirs ...).
Entretemps et en d'autres circonstances dangereuses, j'avais appris à être redoutable, ou impitoyable juste pour me défendre gentiment. Et le cas échéant : vaincre dignement, sans haine.
Ce dimanche matin, par l'heur d'un euro et 22 centimes qui peuplaient mon porte-monnaie je pus agrémenter mon vulgus d'une grosse boule de pain. A la caisse d'un super-marché à une lieue de Chinon jusqu'où je marchai, un client fut invité sévèrement à se délester d'un sac-à-dos et à l'ouvrir aux humeurs inquisitrices de la caissière. Il s'exécuta un peu confus. La caissière y farfouilla, furieuse. J'ai cru un instant que le client déconfit cherchait alentour un regard autrement bienfaisant ; il tomba sur le mien. Débonnaire et sécure, je lui glissai :
-"Vous n'êtes pas obligé de vous soumettre. La caissière n'a aucune autorité pour mener une telle entrave."
Mais la caissière très alerte m'objecta :
-"Bof ! s'il n'a rien à se reprocher, alors c'est normal qu'il s'y soumette."
Je lui retournai mon boomerang :
-"Savez-vous que vous postulez que l'un des fondements anodins de la vie sociale serait la défiance ? Et que pratiquant cela, vous participez à la destruction de votre Pays ? Cependant la Loi française certifie encore que nul n'est tenu à démontrer son innocence. Or vous venez de soupçonner voire d'accuser publiquement un client de tentative de fraude et de vol. En conséquence il est en droit de vous assigner à comparaître en citation directe auprès d'un Tribunal de Justice pour discrimination et pratique commerciale vexatoire, humiliante, et d'obtenir de vous une somme d'euros pour dommage moral, vous en tant que personne physique, ignorant celle votre employeur qui toutefois vous aurait imposé de mener cette pratique illégale ..."
L'on a bien ri de moi, se gaussant gloutonnement. J'ai juste chuchoté ensuite à qui pouvait m'entendre :
-"Riez, ô doux Agneaux, riez, vous qui croyez pouvoir rester dignes jusqu'à l'abattoir !"
Les rires se turent.
Rester digne ? Selon moi, il vaut mieux s'indigner avant que d'y aller. A l'abattoir.
J'ai bien compris que la feinte de la caissière était convenue et grossière : elle offrait au quidam la chance infime de démontrer publiquement une toute petite innoncence. Mais c'était juste un simulacre, une mascarade parce que le véritable enjeu réside ailleurs. Ailleurs, notamment dans l'accession perpétuelle à la haute classe sociale d'une compatibilité de Consommateurs. Un titre de la nouvelle Noblesse ? Ben oui ! Consommateur et Serf des bons Princes U, Carrouf et Leclerc. Bref ! la scène avait procédé d'un authentique droit de cuissage comme dans une harde de chimpanzés pour la vérification toute allégorique de la soumission et de l'appartenance au clan, à la bande. Consentir à ouvrir son sac, c'est juste écarter les fesses mais seulement pour laisser voir ...
Or, certains consommmateurs ne peuvent même plus consommer. Telle déchéance, telle honte, telle exclusion. Tel soupçon de vol ... que l'indigence galopante justifierait à elle seule.
Je rencontrerai demai matin lundi 2 mars monsieur l'Adjoint à la Culture de Chinon Jean-Luc Martineau. J'aurai quelques arguments à lui soumettre dont mon Triptyque de Chinon, et quelques autres bonnes idées plus générales ... comme celle de m'allouer gracieusement un logement-atelier. Tel que ce rien n'est pas grand'chose, en somme. Sauf à te le conter : pour espérer être sauf afin de connaître un lendemain, rien qu'un premier lendemain puis un autre.
J'appris que l'Adjoint est musicien, et a marié une Russe. Peut-être leur vision de la vie porte au-delà des marais du Bas de Chinon.
Ah ! ce cul-de-basse-fosse de Chinon où grouille encore une Bobo, quadra et parisienne, médaillée des Arts et de Lettres, et qui m'avait lancé un soir de hauteur :
-"Votre travail ne correspond pas à l'optique de notre galerie. Nous en sommes vraiment désolés."
D'un sourire insolent, j'ai pensé :
-"Désolés ? pas autant que moi, hé ! grosse Pouffe enguirlandée."
-"Votre travail ne correspond pas à l'optique de notre galerie. Nous en sommes vraiment désolés."
La ritournelle est caractéristique de ceux qui pendant trente années, ne se sont nourris que de ce qu'ils croyaient être du caviar. Et de ce caviar-là, pour me répondre toujours d'une bouche bien pleine :
-"Va donc hé ! Manant."
C'est vrai, de mes deux mains j'ai beaucoup mané, et longtemps.
Le Palais de la Bobo (Nathalie Béreau) était une construction mentale, une obscure galerie souterraine inondable. Un coupe-jarret infâme. L'on m'a rapporté que l'ouvrage de la Bobo médaillée a pris l'eau, et qu'elle-même a bu un gros bouillon. Bref ! Mais qui l'eût cru, à l'instant du naufrage son caviar était déjà faisandé.
C'est vrai, j'ai connu beaucoup d'obscures galeries souterraines inondables ... où je ne me suis jamais noyé.
J'ai appris hier lors d'un apparté opportun avec un journaliste en poste dans son bureau de Chinon, qu'une dame belge retraitée des Musées de Wallonie (à Liège), au lendemain de sa naturalisation française avait été élue Mairesse d'une Commune alentour. Elle y contracta sans coup férir un mariage civil avec sa compagne également belge. C'est un grand évènement national : une Belge lesbienne est venue marier une mairesse franco-belge, en France (!). Je pense que ça a buzzé un max ... dans les chaumières et les châteaux, dans les prés et les cottages.
La Dame ne manque donc point d'éveiller mon intérêt ; mais ce n'est pas tout : elle vient de parvenir à faire voter en Conseil d'Intercommunalité un grand budget à la Culture et aux Arts.
En arguant ceci de terrifique :
-"Lincoln, Président en son temps disait ceci : mais à refuser de voter ce buget, connaîtrez-vous le prix de l'ignorance ?" elle balaya toute velleité d'opposition.
Je ne tarderai pas à lui présenter mon existence admiratrive, dévote à sa personne. Et je n'objecterai rien aux lesbiennes ... qui aimeront admirer mes portraits de femmes nues, dont ceux qui seraient les prochains. De nouveaux portraits de Gerbrich ? Oh non !
Là et ici, Laure, je pense à ton Père en 1943, qui daignerait aujourd'hui m'engager dans la Légion de tous les courages et de toutes les audaces.
Le 3 mars 2015
Ma journée du lundi 2 mars a été éprouvante mais épique, pugnace et finalement souriante.
Je devais libérer mon logement d'urgence tôt le matin, dixit le CIAS. Préalablement, rendez-vous avait été pris avec Guillaume Plessy (le bon Génie du Marais chinonais dont je t'avais envoyé une image, cet ami qui m'avait logé quelques semaines), à toute bonne fin qu'il me livre au pied de la mairie de Chinon les trois volets de mon Triptyque. Il fut précis au rendez-vous. Empoignant mon œuvre hors de son fourgon tout cabossé je lui posai cette requête :
-"Me permettras-tu de te rembourser plus tard les vingt euros que tu me prêteras maintenant ?"
Il ne put que me répondre :
-"Oui."
Puis de joindre à la parole son acte.
J'adore positiver mon indigence. Et c'en est devenu de la haute voltige.
Je retrouvai un peu plus tard Jean-Luc Martineau Adjoint à la Culture de Chinon. Comme je te l'ai relaté brièvement, l'entretien a été convivial et chaleureux. Il admira mon triptyque, entendit mon indigence, prit quelques photos de mes tableaux, me tutoya, me délivra sa carte de visite, me donna un autre rendez-vous virtuel et perpétuel, relayant mon existence auprès du Conseil municipal. Il engagerait prochainement un rendez-vous avec Ann Chevalier mairesse de Couziers dont je t'ai parlé. La fameuse mairesse franco-belge saphique et mirifique ...
Quittant l'adjoint, je ne manquai pas de l'informer que ce soir j'allais retourner "à la rue". Cette confession intime et ultime allait pouvoir gagner d'importance, tout au moins l'espérai-je à ce moment-là.
Plus tard dans la journée, je me suis rendu à l'Entr'Aide ouvrière de Chinon où madame Rosselet avait prévu de me rencontrer. Elle instruisit ma demande d'un logement moins précaire :
-"Mais vous devez savoir, Monsieur, que la liste d'attente est longue. Si toutefois un jour vous y accédiez, sachez également que vous serez suivi par nos Services afin de nous assurer que vous meniez un véritable projet de réinsertion. J'attire votre attention sur son importance ! Au revoir Monsieur, mais pour ce soir nous ne pouvons rien."
Un projet de réinsertion ? Ainsi donc, j'allais devoir élaborer une stratégie quelque peu oblique ou tangentielle afin de gagner un toit pour la prochaine nuit qui ne tarderait pas à venir, ce soir-là.
Quittant la fonctionnaire, je retournai sur le champ au CIAS de Chinon, m'effrondrant sous le poids pédestre de mes 35 kilos de bagages. Certes l'adjoint à la culture avait eu la merveilleuse idée de retenir en son bureau mes 3 œuvres peintes originales, mais mon pc portable et un grand sac de vêtements restaient lourds.
Le Triptyque de Chinon
Ensemble
Volets isolés
Détails
• Date de création : septembre 2014
• 3 volets distincts
• 3x H118cm L78cm
• Technique mixte sur toile sur châssis
Au CIAS, l'on me certifia que leur Règlement interdisait de me reloger pour une quelconque nouvelle nuit, et que l'unique solution que je puisse engager serait d'appeler le 115 (le SAMU social) depuis une cabine téléphonique publique. Cabine que l'on m'indiqua volontiers, toute peinte en rouge écarlate ; l'appel serait gratuit.
Quittant le CIAS, je m'enquis d'atteindre ladite téléphonie, or pas tout de suite.
Déambulant sous les premières gouttes d'une averse crépusculaire, j'attendis patiemment une heure, jusqu'au temps de la fermeture des bureaux du CIAS. J'approchai ensuite la cabine sauveresse, pour constater que le poste téléphonique qu'elle eût du m'offrir en avait été retiré. Point d'effroi, Laure, je te l'assure.
Quittant la cabine, mes yeux plongèrent au-delà de la pluie vers les bâtiments de la Gendarmerie nationale. Aussitôt, deux cents mètres furent franchis d'un saut d'ange. Quoi que l'atterrisssage fut pesant et glissant, l'interphone de la grande porte d'entrée a reçu ma voix :
-"Bonjour Monsieur le Gendarme, je suis esdéef (féminin : esdéève). Voulez-vous saisir l'adjoint de la mairie qui soit d'astreinte ?"
Ce fut mon sésame. Le portail trinapoléonien s'ouvrit. Je pénétrai l'immense bâtisse. L'officière de quart, jeune et jolie gendarmette m'offrit tout d'abord un sourire avenant, pour ensuite se reprendre d'un classique cornélien :
-"Vos papiers !"
Toutes vérifications faites que j'étais bien moi, la bleuette saisit par téléphone monsieur le maire de Chinon. Quinze minute plus tard, l'adjoint d'astreinte se présentait, très civil, très aimable pour embarquer ma personne et son bagage dans une automobile, et m'ouvrir finalement en toute autorité un logement d'urgence ; celui-là que j'avais du quitter le matin-même.
Avant de quitter la gendarmette, je lui ai promis de l'inviter au vernissage de ma prochaine exposition de tableaux. Elle me gratifia de ceci qui fut troublant parce que sincère :
-"Ho ! merci, c'est gentil."
Elle reçut mon salut militaire. Mais je ne sais si ce salut fut réglementaire surtout avec ma casquette de cuir de chèvre Stetson vissée sur la tête. Souvenir d'Albi ... Ou peut-être a-t-elle envisagé la barbe blanche qui a fleuri de mes oreilles au menton, et crut-elle que j'avais été légionnaire ?
Ce sera ma leçon de courtiser la bleuette pour lui cueillir un bouquet de roses. Un soir, parce que je rêve déjà la quitter au matin et qu'elle entonne un air célèbre :
-"Il sentait bon le chèvre chaud, mon Légionnaire."
L'adjoint d'astreinte m'installa dans mon urgence. Ce fut bref, fort courtois et lumineux.
Nous quittant réciproquement, l'adjoint et moi avons bavardé toutefois un moment. Il apprit ma condition d'artiste dont les dernières œuvres avaient été confinées au matin dans le bureau de son collègue, les sauvegardant ainsi de mon indigence pour leur promettre audience et diffusion. Très civil également, je le raccompagnai de quelques pas jusqu'au portail de l'enceinte d'urgence, le saluant pour tant de célérité et sa bonne gouvernance.
As-tu bien deviné, Laure, par quelle stratégie existentielle un pauvre erre doit se hisser pour ne pas dévisser dans le plus noir des abîmes ?
Je te conterai, comme promis ce qu'il sera advenu de mon errance en ces contrées rabelaisiennes.
Le 4 mars 2015
Hier mardi après-midi j'ai pu acheté quelques victuailles grâce aux deux tickets alimentaires que le CIAS m'avait délivré la veille : 20 euros à faire valoir au super U pour préparer un repas chaud le lendemain. Un co-allocataire d'urgence avec qui j'ai sympathisé s'était proposé de préparer ce repas si toutefois j'allais pourvoir à l'approvisionnement. Seuls quelques centimes peuplaient sa bourse. Je n'en avais déjà plus guère.
Mon co-allocataire s'appelle Nasser et est né Français mais, disait-il être un peu beaucoup Algérien quand même ; en somme bi-national. Poète et batteleur-jongleur, il arpente les cordes d'une petite guitare mexicaine toute défoncée quand "le temps est beau dans la rue". Il voyage de ville en ville, de pays à pays depuis vingt-trois ans ; couchant à la belle étoile lorsque les saisons le lui permettent, lorsqu'en fin de journée son vélo, son bagage et ses tours de ménestrel l'ont harassé. Mais il invoque parfois un hébergement d'urgence quand il pleut, quand il fait faim, quand il fait pauvre ou quand il fait froid. Sa vie, c'est toute une vie ; à part entière honorable, périlleuse parfois. Tandis qu'il arbore une belle santé à 51 ans, il rêve de retourner au Mexique et retrouver une Promise, et y ouvrir une gargote de fin gourmet quelque part au long d'une route perdue.
Il tenait à préparer pour nous deux un bon repas hier soir. Je fis donc "les courses". Or les tickets du CIAS mentionnent "pas de boisssons alcoolisées" ! J'eus une idée que je gardai secrète pour ne pas risquer de décevoir quelqu'un, ni moi ni Nasser. Il me fallait mettre en oeuvre une stratégie. Lorsque j'écris "stratégie", il est question d'élaborer quelques étapes chronologiques qui permettent d'atteindre un but. Et ce but était : offrir à notre banquet un breuvage rabelaisien, bref ! deux bonnes bouteilles de vin.
Aurais-tu pensé, Laure, qu'une bonne daube de carrés de boeuf avec pommes-frites sans vin fût concevable ou convenable ! C'eût été revenir à la misère initiale.
Ma vacation était de faire les courses. Sur le chemin qui me ramenait à mon logement, chargé des victuailles je fis halte dans une grande boutique un peu magique, un peu mystérieuse que tient une dame antiquaire qui propose également le vin de Chinon qu'elle et son frère produisent : le Couly-Dutheil, célèbre en la Région et couru de France. Marinette est le prénom de la dame. Elle m'accueillit, siègeant dans un fauteuil Louis XV disposé au haut d'une estrade ; j'en gravis les trois marches, elle me tendit une main de reine parce que son souvenir était, me sembla-t-il, agréable de revoir un artiste dont elle avait découvert l'œuvre il y a quelques mois : le Triptyque de Chinon. Je pris place en face d'elle, siégeant à mon tour dans un autre fauteuil Louis XV qui faisait la paire. Je lui ai relaté en quelques humbles phrases mon insigne indigence, mais tout mû par l'espoir grandissant de présenter durant l'été prochain une grande exposition de tableaux que j'aurai réalisés à Chinon. Je lui confiai également mon ambition de la soirée, celle de faire un vrai repas. Puis je conclus :
-"Marinette, me permettrez-vous de payer plus tard les deux bouteilles que vous accepterez de me vendre maintenant ? Je veux faire la fête."
Fine citoyenne voire très expérimentée en commerce du vin, elle répondit sans attendre :
-"Non ! Car je vous les offre."
Elle reçut en retour mon respect par une accolade et un doux baiser que j'ai osé.
Nasser a préparé longuement notre repas. Ce repas s'est révélé fabuleux de consistance, de goût et de raffinement. Le vin de Marinette nous transporta Nasser et moi aux confins des cieux en compagnie des dieux. Nous nous sommes couchés vers minuit, ravis et confits par la béatitude d'un bonheur profond.
Ah ! la dive bouteille n'est pas un mythe, c'est un must.
Nasser a replié son bagage ce matin. Il a pris la route à dix heures au guidon de son vélo. D'un dernier regard il promit de m'adresser un email dans cinq ans lorsqu'au Mexique il aurait réalisé le bout de son rêve.
Demain jeudi, Guillaume le bon génie des marais m'engagera pour la journée ; je l'aiderai à procéder au déménagement des meubles d'un couple de personnes âgées. J'aurai donc l'occasion de lui retourner les vingt euros qu'il m'avait prêté lundi ou de perpétuer mon emprunt.
Je réalise à l'instant que je commence à me conjuger au futur. Au futur simple tandis qu'un passé proche s'éloigne désormais parce qu'il n'avait pas été parfait. Entretemps, aujourd'hui mercredi c'est à mon corps que je prête un utile repos après avoir usé de nombreux fonctionnaires.
Guillaume Plessy, le bon génie des marais de Chinon
Le 22 mars 2015
La dernière quinzaine de jours durant laquelle l'idée simple de tenir à jour mon blog m'a ulcéré. Cette quinzaine a été épuisante et traumatisante. Ou chevaleresque : une épopée, une chanson de geste, presqu'un Roncevaux qu'il avait fallu vivre avant de pouvoir l'écrire. Et le mystère de Gerbrich a nécessité la plus belle part de mon discernement et la générosité de chacun mes élans ; qui a été une question de priorité.
Je t'annonçais fièrement qu'un jeudi industrieux me permettrait d'être physiquement très actif et de gagner 50€. De fait, Guillaume et moi avons travaillé à déménager les meubles d'un couple de personnes âgées. Huit heures de musculation sauvage : elles ont été bien menées. Mon âge, bientôt 58 ans, offre encore de la puissance sur la carcasse. Les années passantes et quelques époques de franche disette, de famine prégnante ont consumé un part significative de mes muscles. Je demeure toutefois alerte, bien bâti mais tardif ou abâtardi par la venue d'une seconde moitié de mon existence. Te souviens-tu jadis qu'à évoquer ma cinquantaine téméraire, j'avais imploré la deuxième moitié de ma vie ? Et qu'à ta réponse littérale (!), j'avais imploré une troisième moitié. Or que la dernière advienne finalement, elle soit bien la seconde évidemment.
Vers 17 heures ce jeudi 5 mars, de retour à mon logement d'urgence je découvris avec stupéfaction qu'il avait été entretemps fermé à clef. Voici bien la procédure des Shadoks du CIAS de Chinon : logeant au local d'urgence que l'on m'a ouvert, je ne peux pas disposer d'une clef ; ainsi mes effets personnels (vêtements et pécé portable) sont offerts à l'abandon lorsque je m'absente ! Or ce jour-là, en mon absence, un Shadok y est passé et pour je ne sais quelle futile raison, il en verrouilla l'accès, sans imaginer un instant que j'allais le retrouver porte close. On m'avait offert l'hospitalité d'urgence pour aussitôt me l'interdire, me soustrayant à mes vêtements, mon ordinateur ...
D'un pas leste et rapide malgré une fatigue réelle je parcourus le kilomètre qui me séparait du CIAS. Le Shadok de l'accueil feignit de ne pas comprendre qu'une telle situation m'embarrassait. Il manda sa directrice en chef, alors présente à l'étage. Elle descendit 10 minutes plus tard, m'introduisit dans un bureau annexe, me fit asseoir, puis s'enquit d'un ton solennel et très commode, ou détaché pour m'expliquer un début de quelque chose que j'ai vite considéré comme impropre ou délirant. J'abattis vivement une main sur la table :
-"Bon ! ça suffit, et c'est moi qui mène la danse maintenant : vous avez 10 secondes pour me dire que mes "affaires" me sont retournées. A défaut, je porte plainte pour vol."
-"Des menaces ?"
-"Non Madame, une simple mise en garde."
Je me suis levé sèchement. J'ai quitté le bureau où nous étions confinés. Dix secondes avaient passé, je fis halte, me retournai :
-"Alors Madame, où est mon bagage ? Rien, et parce que les dix secondes viennent de s'écouler, dans 5 minutes je déposerai une plainte contre le CIAS, à la Gendarmerie, pour vol."
La directrice afficha un grand vide sidéral. Le regard que j'avais dégainé et rugi a semblé la pourfendre, la transpercer de taille et d'estoc. Tant elle était devenue absente et transparente, je crus apercevoir un mur derrière elle.
Cinq minutes plus tard je sonnais au portail trinapoléonien de la gendarmerie. Je fus introduit dans le quart de garde où sans détour j'expliquai que très certainement un quiproquo avait amené le CIAS à m'interdire l'accès à mon bagage. Mais que face à l'incurie de ce service, je craignais de me retrouver encore une fois "à la rue" et cette fois démuni de tout !
Le conseil de guerre de la gendarmerie milita pour "circonvenir le vol". Ainsi et entretemps, les différents et multiples postes téléphoniques de la place armée retentirent d'un cortège de sonneries et de palabres. Cela a fusé comme cela durant dix prodigieuses minutes. Les uniformes bleus ont fourmillé de tous côtés. Placide voire paisible, j'ai assisté confortablement assis, au succès du concert que j'avais mis en œuvre : une symphonie grandiloquentesque d'ordres militaires adressé au CIAS, à la Mairie, à monsieur le maire de Chinon ... par les caporaux, les lieutenants puis par le capitaine soi-même, chef de Corps.
Enfin pliée et soumise à l'autorité militaire, la Mairie diligenta un policier de la municipale pour me conduire à mon logement à toute bonne fin de me permettre d'y récupérer mon bagage. Mon chauffeur n'alluma ni la sirène ni le girophare ; il préférait demeurer discret dans le crépuscule tombant. Local ouvert, je rassemblai mon bagage sans toutefois trop me hâter : posément j'établissais une nouvelle stratégie qui puisse me conduire à obtenir un logement d'urgence pour la nuit, la nuit qui venait chaque soir, car bien évidemment j'étais dépourvu du moindre gîte ce soir-là. Quand je parle de stratégie, Laure, il s'agit de définir une chronologie précise d'évènements à engendrer, etc. Bref ! et avec sang-froid.
Je priai gentiment le policier de me conduire à ... la gendarmerie. Il s'exécuta, débonnaire. Nous roulâmes posément. De retour au bâtiment trinapoléonien, il gara sa fourgonnette tricolore sous les fenêtres du quart de garde.
Je sonnai au portail, je fus introduit :
-"Bonsoir Messieurs, voulez-vous bien ordonner à monsieur le maire de Chinon de prendre ses responsabilités et de ce fait, sécuriser ma personne pour la nuit."
-"Comment ça ? Et c'est la police municipale qui vous amène ici ! Mais ils sont fous à la Mairie."
Ce fut le capitaine soi-même qui traita personnellement ma requête. Il dut prendre ordre et conseil auprès de son état-major régional car d'abord trente minutes s'écoulèrent. Revenant vers moi, frayant l'attroupement bleu qui m'escortait dans le couloir, il m'assura que je serais logé ce soir-même par la mairie. Dont acte ; il enjoignit par téléphone monsieur le maire de Chinon d'assumer ses responsabilités d'élu républicain. Il répéta au maire, trois fois de peur qu'il n'eût pas été bien compris :
-"Monsieur le Maire, c'est de votre responsabilité ! Et c'est un ordre préfectoral que je vous transmets maintenant : vous l'exécuterez."
La procédure de mon transfert s'effectua par une voiture de la gendarmerie. La mission était simple pour les deux gendarmes en co-voiturage : s'assurer que je serais logé d'urgence, et d'autorité. Et par le plus étrange des hasards, c'était dans le même local que j'avais quitté une heure plus tôt.
L'histoire est quelquefois narquoise.
Un adjoint d'astreinte un peu tremblant nous attendait, ne faisant pas face à la force gendarmesque. Il ouvrit la porte de mon logement.
J'y ai dormi immédiatement douze heures ininterrompues tant les évènements de la journée et du début de soirée avaient été épuisants. Et puis, n'avais-je usé cette fois tant de meubles, de bagages, de fonctionnaires, d'élus et de militaires ? Un sommeil somptueux a été ma récompense ...
Mon lendemain matin fut matinal, preste et actif. Tandis que je rassemblais mon bagage pour quitter mon logement de nuit, une patrouille composée d'un gendarme et de deux gendarmettes se présenta au bercail. J'eus une pensée lubrique : que n'étaient-elles venues et restées hier soir, les gendarmettes. J'eus cette pensée qui fut plutôt incongrue quoi que divinement matinale, incongrue car je ne reconnus pas la jeune et jolie gendarmette d'une précédente rencontre, celle qui avait été très séduisante et un peu séduite. Ses consœurs de l'aurore ne présentaient pas le même charme ou le même désir partageant. Encadré de ses gendarmettes, le gendarme parla d'une voix docte et virile :
-"Vous devez quitter le logement."
-"Parfait, c'est précisément ce à quoi je m'active."
Un au-revoir fut échangé avec toute la réserve et la politesse que ce mot signifie :
-"Au-revoir !"
Une idée avait germé en mon éveil matinal. Je me présentai tout d'abord aux bureaux de la police municipale afin de discourir civilement avec l'adjoint de son directeur absent parce qu'un apéro avait du retenir celui-ci non loin en terrasse : je ne doutais pas que les élus de la mairie souffriraient d'une quelconque rancune à mon encontre, car je connais bien la vanité de l'élu. Cette vanité, c'est comme une bulle de gaz qui naît puis emplit son cerveau, jusqu'à ce que tout son cerveau devienne une grosse coupe de champagne. Une alchimie toute singulière, insoupçonnée de lui-même régit l'âme de l'élu de la bulle ... Nul doute que les derniers évènements que j'avais provoqués avaient agité sévèrement beaucoup de bulles de gaz républicaines. Je cuisinai à l'insu de son plein gré l'adjoint du directeur de la municipale. Et je ne fus pas étonné d'apprendre la rumeur qui courait désormais à Chinon : je suis menaçant voire violent, je relève de soins psychiatriques, je ne suis pas l'artiste peintre que je prétends être ... Mais, n'échappant jamais à la chance de décocher une flèche de l'esprit, j'ai usé de l'instant approprié, où tout semblait perdu pour répliquer : le grand sexagénaire en uniforme fut proprement déconfit lorsque je l'invitai à considérer, pour l'égal exemple que ses trente dernières années avaient été rêvées, et que l'on disait de lui qu'il était un infâme voyou. L'effet fut glaçant. Un frisson interdit parcourut le puissant molosse aux fâcheuses rodomontades ... Je ne me suis attardé guère plus de vingt minutes à la municipale, et j'abandonnai l'énorme dubitatif à son questionnement intime. La rumeur étant avérée, je compris que c'était m'offrir de l'importance. De fait, le déplaisir de mon indigence était partagé. Vu de mon côté : il était généreusement partagé ! Quant à une rumeur, j'en devine le phénomène par son utilité, et l'intérêt des personnes qui l'avaient créée et l'entretenaient. Ma présence sur le Territoire chinonais "finirait mal", et rien n'était mieux logique : la rumeur devait justifier la mauvaise fin, et la mauvaise fin aurait justifié la rumeur. Enfin tout devenait clair pour moi l'indigent, et mon sort semblait réglé.
L'indigence est une haute voltige. Voilà qu'une rumeur, devant initialement me desservir, allait nécessairement me servir. J'avais créé le buzz sur mon indigence. J'allais devoir me servir d'un fameux temps de cerveau gagné de haute lutte auprès des élus, pour les meubler d'autres données, lesquelles seraient très positives : positives pour moi, positives pour les élus. Parce que je suis légitime d'envisager de reconquérir un atelier/logement et d'y peindre de nouveaux tableaux, mon discours serait structuré comme le suivant : un logement-atelier/où/quand/comment avec le partenariat de qui se proposerait. Un "gagnant-gagnant" fort à la mode.
Le quelque argent que j'avais gagné la veille me permit entre autres choses, pour le prix d'un café d'accéder au wifi du Café des Arts (dont il n'y a d'Arts que l'enseigne et cela j'aime le rappeler ; cependant j'avais appris à apprécier le grand professionalisme du jeune maître de céans : Fred qui pour le prix d'un café m'autorise à brancher mon vieux pécé portable et à le connecter au wifi de son café-restaurant-hôtel ! Me présentant pour telle séance du web, il ne manque jamais de recevoir mon bonjour amical, ou me le retourne volontiers quand à ma vue il n'avait pas été d'abord présent). J'ai pionaté longuement mon clavier. La "bouteille à la mer" de Gerbrich Reynaert, pour s'être échouée sur l'un mes rivages requérait tous mes talents d'homme et d'artiste. J'allais y œuvrer ardemment.
La fin d'après-midi vint rapidement. Il allait falloir me mettre en quête d'un logement pour la nuit. Par la folle farandole de l'indigence, cela consistait à épuiser de précieuses énergies, mais à me maintenir physiquement et psychiquement d'aplomb. Refuser de sombrer, même dans la plus infime tristesse. Combattre le danger qu'une idée de l'abandon me submerge et m'entraîne dans l'ultime naufrage.
Comme à mon habitude, je fis une halte au local où œuvre tardivement Patrick Goupil, fin renard du quotidien de la Nouvelle République. Je le saluai joyeusement, il s'avança jusqu'à la porte vitrée qu'il ouvrit, me retourna mon bonjour par un délicieux sourire. Il entendit que mon hilarité n'était pas feinte, et rit avec moi des derniers prolongements de mon indigence. Il me remit sa carte professionnelle où son adresse email apparaissait afin de recevoir par le texte les bons feuillets de mon journal. Nous constatâmes ceci : je tiens un journal, il en tient un autre. Nous sommes dès lors confrères, et nous serions peut-être partenaires pour la publication de mon blog ...
Ma chère Laure, les pensées que je portais sur le mystère de Gerbrich ont été des compagnes très amicales ; ambiguës et contradictoires un temps, mais finalement amicales. Et le journal, ou blog que je tiens à ton attention œuvre positivement, qui m'assure un détachement fort salubre par le simple exercice de son écriture. L'être humain a ceci de propre, ou de comble : la superstition. Si par faiblesse ou par accident il s'abandonne à une infortune, religions et fausses croyances le possèdent aussitôt. Sans toutefois scénariser mon récit de façon outrancière, Laure, je te conte mon existence pour les temps où je ne peux disposer d'un atelier, où je ne peux peindre. L'indigence est furieuse maîtresse. J'écris alors pour conjurer celle-ci, la repoussant elle qui revient sans cesse, et qui achève toujours de s'imposer et d'épouser le moindre de mes pas. Je réalise à l'instant que mes temps de peinture m'ont toujours semblé autrement plus denses, intelligents et cohérents que mon indigence est idiote et délétère.
Peu avant l'heure de sa fermeture officielle, je me suis rendu au CIAS. Madame Stéphanie Salvage étant en congé pour huit jours (ce que nous fûmes quelques uns à déplorer tant elle s'était avérée être précieuse, posée et stratégique), ce fut le grand Shadok de l'accueil qui, à mon arrivée sonna la directrice, celle-là même que j'avais tancée la veille. Madame Douart. Nous nous enfermâmes elle et moi dans un bureau. Très circonspecte, je dirai prudente cette fois, elle reçut ma requête pour un logement d'urgence. Elle ne commit que la moitié d'une erreur : elle s'appuya sur un réglement qui n'était que des consignes. Un logement d'urgence n'est délivré que pour deux jours et nuits de suite. Ensuite, l'indigent est déplacé de ville en ville, de village en village. Sans fin. Ainsi l'indigence est, de place en place nettoyée ou "blanchie" car elle n'apparaît que temporaire dans des livres de comptes : un indigent est arrivé/2 nuits/départ obligatoire de l'indigent = 1 indigent -1 sur le Territoire = moins d'indigence = succès de la politique locale contre l'indigence. Quant à l'indigent qui se voit baladé de ville à ville, il se retrouve englué dans un vide existentiel absolument dramatique ; tout au plus on lui délivre un billet de train ou un ticket de bus, de la nourriture en conserves, un logement d'urgence précaire ... D'où la révolte comme cri de désespoir, d'où le suicide comme soulagement. Mais en aucun cas une structure d'accompagnement n'autorise ou ne favorise la reconstruction physico-psychique de l'indigent lorsqu'en bout de course il est détruit. L'action sociale agit sur lui comme une enceinte psychiatrique sans murs, sans frontières mais au pouvoir absolu, qui l'a rendu fou, qui l'a désaxé, qui finalement l'a marginalisé. Quelquefois une image surréelle, mais aux atours parfaitement réalistes voile mes yeux : ce que je vis procède d'une apparence de liberté, or qui est en prison ? ou qui est désaxé ? ou qui est névrosé ? ou qui est psychopathe ? sinon certains fonctionnaires, certains élus, et moi-même. Tous et personne à la fois ... Ce jeu d'images dans un miroir peut dire vrai, puis mentir. J'ai appris à entretenir une conversation avec moi-même : certains éléments m'échappent cependant. Ainsi, si un jour j'ai froid, je m'habille plus chaudement. Mais si des vêtements chauds me font défaut, cruellement que vais-je en conclure ? Que l'extrême solution sera de changer le gel en beau temps : c'est un peu mon attente, c'est beaucoup mon effort. C'est ce que j'avais rétorqué au capitaine de gendarmerie campé au milieu de sa troupe : cela fait deux ans, depuis la mévente absolue de mes œuvres peintes originales, que j'ai engagé une conversation avec moi-même ! Quelques rires avaient transpiré de la collection d'uniformes bleus. Quant à me prendre en main :
-"Que l'on me renseigne davantage de petits boulots."
A une autre certitude dont l'officier prétendit m'affubler :
-"Permettez, Capitaine, que je vous oppose une contradiction toute dialectique. Et quoi qu'en désaccord, Monsieur l'Officier, nous resterons bons amis."
Cela le neutralisa pour le reste de la conversation qui, je dois bien le reconnaître a cessé sur le champ ...
C'est en substance ce que j'ai établi comme constat de l'indigence, auprès de madame Douart directrice du CIAS. Par l'exception de ma personnalité, elle sut que je ne pouvais même pas concevoir de m'y soumettre un instant. Ce qui me porte aujourd'hui est le souhait, le désir ou le rêve que reconquérir prochainement un atelier/logement, et d'engager de nouveaux tableaux. Je lui tins le détail d'une telle procédure, où un vernissage mondain de ma prochaine expo serait relaté dans la presse locale (la Nouvelle République), et que la ville de Chinon, maire en tête, en serait heureux autant qu'en serait enchantée une part des visiteurs ; ainsi que la Nouvelle République, le quotidien local qui aura suivi le spectacle ubuesque de mon indigence chinonaise. Donc, à partager ou à croiser notre intérêt, la Ville serait instruite de me favoriser. Et précisément parce dans six jours je rencontrerais monsieur Jean-Luc Martineau adjoint à la Culture de Chinon, et madame Ann Chevalier vice-présidente de la Communauté de Communes exerçant à la Communication et à la Culture du Chinonais, la Ville aura à cœur de veiller à mon logement d'urgence dans l'attente de ce rendez-vous. Une heure de papotte a retenu ensuite la directrice auprès de divers services et élus de la mairie. La décision politique fut alors convenue de m'ouvrir le logement d'urgence que j'avais quitté le matin-même, mais cette fois pour six jours, six nuits. J'ai félicité la directrice. Je l'ai priée également de lever l'anathème qu'une rumeur maligne avait jeté sur moi. La rumeur ayant été consommée par mes soins, et pour le résultat escompté, elle devait à présent disparaître. La nuit venait ; madame Douart me conduisit à ce logement de l'Impasse Agnel Sorel au volant de son automobile, me l'ouvrit tout en en gardant la clef ... Fort civil, j'ai tenu à la raccompagner jusqu'au portail de l'enceinte d'urgence.
Du répit m'était offert pour penser à Gerbrich.
J'ai dormi au logement d'urgence durant les six nuits, et œuvré les six jours à résoudre le mystère de Gerbrich. Ce fut une période difficile. Aucune stratégie n'était envisageable car toutes auraient été inaptes. Je pratiquai le seul art imaginable : l'immersion totale en mon souvenir, en mon sentiment. La tempête fut effroyable. J'ai maudit Gerbrich, me brisant sur chacun de nos écueils, m'inventant toutes les bonnes raisons pour la rejeter. Je n'y trouvai aucune paix. Puis, las de me débattre dans un déferlement de larmes, j'ai laissé émerger un sentiment mystérieusement insoluble, léger presque volatil : un extrait de mon âme que l'on dit être depuis mille ans amour. Qui est intransigeant et courtois.
Les lignes de ce 22 mars ont porté sur mes jours du 5 au 12 mars 2015. Entretemps je t'ai conté par emails, Laure, quel a été le mystère de Gerbrich : il est aujourd'hui résolu, même franchement réduit car pour ce faire, j'ai du être réducteur de tête ... De ma propre tête ! Je résume : le 10 mars 2015 Gerbrich a répondu à mes emails qui répondaient à "sa bouteille à la mer" : cycliste, elle avait été renversée par une automobile le 15 janvier. L'adresse IP de son post l'a localisée près de Stockholm, effectivement loin de la Méditerranée. Gravement blessée et traumatisée (à la tête ?), elle ne se souvenait toutefois pas avoir cherché à obtenir le 27 février (42 jours après son accident) mes coordonnées en déposant une requête publique sur un site web où j'apparais, et me pria de l'excuser pour cette erreur. Mais pour quelle erreur ? Elle a écrit aller mieux, petit à petit. Puis elle est restée silencieuse depuis cette unique réponse du 10 mars.
Je pense que ma personne a émergée de sa mémoire ré-initialisée lors de la reconstruction de son âme, et que je lui suis apparu de façon fugitive comme une silhouette incertaine, comme une trace improbable ; elle exerça la suite par requête google sur le web [firefox-mac-google(nl)-solna/stockholm/sweden].
Puissamment structurée et maladroitement structurante, Gerbrich posta son commentaire :
-"Je suis à la recherche des coordonnées de Jean Sentrais." Cela pourrait s'apparenter au redémarrage du système d'exploitation d'un ordinateur ... et à l'absence malencontreuse d'un fichier temporaire non enregistré préalablement parce que celui-ci, ouvert était encore en chantier au moment du crash. En cela, Gerbrich multi-core est vraiment impressionnante ! qui n'avait pas conçu sa sauvegarde automatique.
Le webmaster me transmit par email l'avènement de son commentaire, me livrant également le détail foisonnant de sa connection ... Je me suis manifesté auprès de Gerbrich par email trois jours plus tard pour répondre à sa "bouteille à la mer". Trois jours plus tard ? Oui, parce qu'une connection au web est évidemment problématique lors d'une indigence.
Ce que j'en ai conclu est ceci : elle n'avait donc pas rêvé ou divagué, j'étais bien celui qu'elle avait connu vingt-six ans plus tôt et qu'elle n'avait plus revu depuis vingt-deux ans. Ensuite, j'ai œuvré prudemment pour l'aider à réécrire notre fichier manquant en quelques emails bien choisis, veillant à ne pas corrompre notre histoire : aussitôt réincarné, le souvenir de moi allait pouvoir replonger alors, dans le flux majestueux du temps passé ... J'accepte volontiers de disparaître une nouvelle fois de son présent parce qu'il s'agit de Gerbrich accidentée, la merveilleuse jeune femme de mon premier âge d'homme épanoui. Gerbrich, ô Gerbrich qui veuille au mieux considérer aujourd'hui ses deux enfants, ses parents, son mari, ses amis, ses collègues de boulot ; lesquels sont, tels que je les imagine être précieux et présents auprès d'elle.
C'est toute la permanence et la langueur de Gerbrich. Ainsi va sa vie, accessoirement va la mienne ...
Laure, je te conterai prochainement ce que les journées suivantes du 12 mars dont ce jeudi aux Affaires culturelles de Chinon, m'ont apporté de joie inattendue, d'espoir, de contradiction imbécile, d'obstacle, de piège ruineux, de voyage, de pugnacité féroce et de découverte insolite. Et de haine indélébile sinon débile que l'on a décochée comme cent flèches à l'égard de mon insigne indigence.
La France est profonde où je plonge.
Screenshot du commentaire que Gerbrich Reynaert a posté sur le site OHO-Art le 27 février 2015.
Le 28 mars 2015 / Épilogue
Jeudi 12 mars, Jean-Luc Martineau et Ann Chevalier me reçurent au bureau des affaires culturelles. J'évoquai d'abord mes trente années de peinture, puis un projet ** que j'avais élaboré en 2012 pour l'esplanade de la cathédrale Sainte-Cécile d'Albi, mon indigence, mon désir de m'implanter à Chinon car :
-"Cette fois-ci, je n'irai pas plus loin ! Car j'aime Chinon. Mais si Chinon ne m'aimait point, alors je passerais mon chemin ... pour ne jamais revenir à Chinon parce que je serais retenu ailleurs et ailleurs. Par les temps difficiles de l'époque actuelle, une pulsion féodale prétend submerger la République : alors je serai le troubadour, le ménestrel, le batteleur ou le manant qui de ville en villle s'en ira proposer son infime talent."
Une brume de berlue a semblé perler et envelopper le bureau et les gens que nous étions. Lors d'un moment suspendu, les yeux de Ann Chevalier, de Jean-Luc Martineau et du directeur artistique de Chinon Franck Devant, leurs yeux que l'on dit être les portes de l'âme s'ouvrirent de façon telle que je crus apercevoir sur la rétine que mon discours avait été lumineux. Je n'ai pas craint de les avoir aveuglés ; juste un peu illuminés.
Chacun se rajusta. Ann Chevalier entendit resserrer la collaboration entre l'Intercommunalité dont elle est vice-présidente et la Mairie de Chinon. Jean-Luc Martineau en convint d'un oui nécessaire, puis me relata l'un des aspects de la politique culturelle de la nouvelle équipe de la mairie : prendre en location une vingtaine de locaux en rez-de-chaussées commerciaux désertés par l'exode économique, puis les sous-louer à des artisans d'art et autres artistes, pour un loyer modeste durant la belle saison touristique. J'étais clairement envisagé dans le nombre de candidats. Je soumis l'un des volets de mon triptyque à la découverte de Ann Chevalier qui ne connaissait rien de moi. Cela appuya la proposition de Jean-Luc Martineau. Ainsi le principe de mon adhésion à la politique culturelle de Chinon (l'Intercommunalité de Chinon-CVL, 16 communes) fut entendu.
Jean-Luc Martineau et Stéphanie Salvage œuvrèrent les jours suivants à s'assurer de la décence de ma condition : certes par d'autres errances d'urgence à Richelieu, à l'Île Bouchard, dans une chambre l'hôtel à Chinon. Ce furent ces ultimes errances qui avaient provoqué de la contradiction imbécile, du piège ruineux, de la haine indélébile que j'ai évoqués le 22 mars. Mais j'avais appris à éconduire ces gueuses et ces gueux immatériels avec détachement : c'est pourquoi je les évince ici de mon dernier commentaire ; je ne parlerai pas davantage du chien qui a prétendu me mordre les molets ... Néanmoins, je conserve un souvenir particulièrement subtil d'une conductrice de bus interurbain : tandis que me manquaient 40 centimes d'euro pour payer entièrement le titre de transport, elle me laissa monter -à regret dit-elle- sans toutefois me délivrer de ticket mais en encaissant bien -dans sa propre poche- les 2€ que j'avais avancés ... Ah ! le commerce de la misère est celui-ci, primal parfois brutal, toujours pragmatique.
Finalement l'octroi d'un logement pérenne par à l'Entr'Aide ouvrière de Chinon me fut annoncé tandis que j'étais en partance pour un nouveau logement d'urgence à Saumur ...
Je me suis installé en mon vrai logement sur les hauteurs des Hucherolles de Chinon le lundi 23 mars. Ma nouvelle adresse est quiète, commode et confortable. Mon alimentation sera pourvue par la Croix-rouge, le temps que mon instance au RSA soit réalisée et que mon accès à d'autres droits soit ouvert. Entretemps, et afin de faire établir auprès de la mairie une convention locative pour l'été, j'ai engagé auprès de l'URSSAF l'inscription de mon activité d'artiste peintre, de façon telle que celle-ci soit désormais officielle. D'un ultime passage au CIAS, je confiai à Stéphanie Salvage une pensée vagabonde :
-"Il me reste à vous remercier. Lorsque vous ne pourrez plus rien pour moi parce que tout irait bien pour moi, mon plaisir sera vous inviter à prendre un verre, entre copains !"
Stéphanie a longuement ri, de bonheur je crois. Le spectacle de son rire fut également de mon propre bonheur. Alors je me remémorai ce qu'avait été ma quête de l'étymologie du mot bonheur. Heur, d'origine arabe signifie littéralement hasard, alea en latin. Il y a ainsi de bons et de mauvais hasards ; par un mystère irrésolu ils surgissent toujours sans crier "Gare !" Et un gai hasard tout aléatoire avait nourri ma pensée auprès de Stéphanie à ce moment-là ...
Or le langage populaire n'envisage-t-il pas déjà, dans un grand soupir :
-"Ce sont les hasards de la vie ; au petit bonheur : la chance !" pour parler de nos heurs.
Quant à être "heureux" ? Je pense que c'est s'en remettre à l'éventualité d'un gai ou d'un triste hasard. C'est une sorte de périple paradoxal, paisible sinon périlleux : la quête heuristique est toujours aléatoire ... et seul compte en somme le vent que l'on daigne prendre dans les voiles.
Avril qui viendra bientôt sera un temps propice à reconstruire ma vie et à relancer l'agitation de mes pinceaux, et de mes seuls pinceaux ... frêles esquifs voguant et divaguant à la dérive dans un verre d'eau.
Je ne manquerai pas de peindre "plein de tableaux", et de les présenter à tous et toutes qui m'ont secondé généreusement lorsqu'une tempête dans ma vie avait failli me submerger.
A+, Laure.
Jean
Appendice plaisant et ironique
La Perrosienne.
Jeu d'ombres désolées au soleil couchant d'une journée d'août ; Perros-Guirec, 2010. Deux virtualités se superposent dans un ballet fascinant de 35 secondes où la musique d'un pantin mécanique vient soutenir le rythme effrené.
Énoncé d'une énigme : le modèle d'un artiste peintre lui échapperait-il perpétuellement lors de la quête picturale ?
Lire la video:
Voir La Perrosienne achevée ; H100cm x L100cm, 2010.
Épinglé *
* Charlotte Lembourn et moi avons été compagnons quelques mois à Copenhague en 1992.
** Projet à Albi qui n'a pas abouti par la défaillance d'un partenariat culturel et financier notamment celui de la Ville d'Albi : le site de la cathédrale classé à l'Unesco en 2007 le définissait intouchable, inaliénable, muséographique, donc inexorablement inerte ! Tout un paradoxe éthéré ...
Jean Sentrais artiste peintre vagabond des êtres et des choses — contact : 113sentrais@caramail.fr