e donnant suite à des études d'architecture, de conception publicitaire et des Beaux-Arts que je commence mais n'achève pas, je décide à l'occasion d'une rétrospective de l'œuvre de Vincent Van Gogh où j'opère comme guide, de consacrer mes activités à l'aventure de la peinture ; je suis alors âgé de vingt-cinq ans.
Ma première exposition en 1986 à la galerie Hutse à Bruxelles me permet de disposer d'une critique favorable et d'emporter mes premières ventes auprès d'une clientèle privée. Mes œuvres procèdent à cette époque d'une technique mixte et brute où la rugosité des matériaux et leurs façons d'être mis en image soutiennent ardemment
l'expressivité des figures humaines, hommes et femmes, furieusement déliées. Les ambiances colorées sont sourdes et sombres où seul jaillit un rouge écarlate, comme me semblent être à Bruxelles mes impressions et mes sentiments d'
une étrange belgitude. La présence et la puissance des personnages, des nus déjà, sont pétries de contorsion et de révolte intérieures. Le dessin aveugle est ma pratique ordinaire qui consiste à tracer les figures humaines en m'interdisant de disposer simultanément de son élaboration et de son résultat. La mentalisation du dessin prône ainsi à échapper à tout idiome graphique et aux facilités de stéréotype, et à révéler la substance d'une pensée qui se déploie.
Le contexte social et politique d'une époque qui eût pu me concerner, de 1982 à 89, exacerbe les sensibilités d'une large partie de la jeunesse européenne, celle qui agite sa fébrilité aux frontières du bloc soviétique. En Allemagne, aux Pays-Bas et en Belgique, l'emprise aux chantages d'un cataclysme nucléaire ne désemplit pas les pulsions de désespoir et de révolte. Il s'agit également pour moi de vivre un temps mouvementé, et parallèlement d'être confronté aux préoccupations financières si communes à d'autres... Chahut intime dont a subsisté une trentaine d'œuvres, essentiellement
dans la collection de Louis Hutse et dans celle d'une banque privée à Bruxelles. Ces collections sont aujourd'hui dispersées. Ensuite, la rencontre d'une jeune femme qui devient ma confidente et ma compagne m'éclaire de nouvelles facettes sur ma sensibilité.
eu à peu la figuration humaine s'honore de nouveaux attributs, et sans délaisser le dessin aveugle et le fait de déchirer une image finie pour en constituer l'œuvre définitive, j'évolue vers davantage de fluidité, tentant presque douze ans plus tard d'abandonner le questionnement psychologique de mes modèles féminins pour de nouvelles évidences. En 1986 j'émigre dans le Sud de la France et séjourne longuement à Nice où s'accomplit une lente métamorphose qui m'oppose dès lors aux modes picturales majeures. La découverte de l'espace culturel français -
ma peinture devient française-, les confins des influences anglo-saxone, latine et arabe sur les rives du bassin méditerranéen me séduisent et me convainquent de moduler mon art et de pas l'épancher en pure abstraction.
Qu'est-ce qu'une culture sinon la gestion sublime d'un patrimoine commun ? Alors qu'il en existe de multiples et de nombreuses, chacune est excentrique et concentrique, mouvante, se nourrissant de ce qu'elle est pauvre, se donnant de ce qu'elle est riche. Elle est vigoureuse lorsqu'on y décèle autant de pondérance que d'urgence par l'oralité. En fait de société contemporaine où la communication des informations se veut et se peut colossale, surgit un paradoxe qu'il faudra élucider qui est qu'une oralité, urgence de la pratique culturelle, est toujours à réinventer. Dans la quête d'une pondérance et d'une urgence culturelles, la mutation actuelle d'une physiologie de la communication est problématique, et promet de ravager inexorablement des ethnies ou des franges de population fragiles sinon inadaptées. La photographie, la télévision, le cinéma et même les sons synthétiques et les images virtuelles dues au génie informatique, Internet, prétendent renouer le module physiologie-oralité, cependant qu'ils participent davantage aux mythes et aux mythologies contemporaines. Rappelons-nous en quels termes les activités artisanales ont été chez nous laminées ; cela n'était pas tant un problème de productivité qu'une faille impitoyable dans le couple physiologie-oralité.
'est également ce que l'on constate depuis l'invention de l'imprimerie : la duplication des textes et des images désincarnent leurs auteurs qui accèdent, parfois à leur insu, au concept d'immortalité. Nous en sommes aujourd'hui à la cybernétique où un robot nous soulage totalement de physiologie et d'oralité. On peut donc imaginer que hors du champ d'application industrielle un robot universel suffise aux deux formes de cohésion culturelle, pondérance et urgence, dans les relations et les fonctions humaines. Et qu'il soit producteur de nouvelles richesses!
Restent gratifiantes parallèlement d'autres pratiques artistiques ou culturelles datant de millénaires lorsque avant même l'invention et l'usage de l'écriture, des artistes étranges à nos yeux gravaient sur les parois d'un repère rupestre où ils campaient auprès de leurs semblables, bisons, caribous, lynx, rhinocéros, etc... ou autres figures à représentation humaine : chasseurs, cueilleurs, guerriers, femmes fécondes ou maternelles, œuvrant à l'articulation d'un imaginaire collectif parce que les choses ainsi exprimées devenaient réelles. La présence dans mes tableaux de ce que l'on nomme des motifs décoratifs ou répétitifs me permet de comprendre et d'admirer nos terres ancestrales, européennes et autres, qui ont connu tant de pondérance et d'urgence culturelles, tant de gloire et de richesse. Tant de guerre aussi ?
Ici mon choix existentiel est résolu, ne laissant pas aux misérables de s'évertuer en une aventure funeste, sachant que réaffirmer la primauté et la priorité culturelles protège par la voie de ses corollaires les communautés humaines des désastres sociaux, économiques et politiques, voire sanitaires. En 1992 le dessin de mes personnages s'affine et s'enquiert d'une exploration plus sereine. Comment comprendre que mes nus féminins si permanents, répétés ou stéréotypés assurent à mes oeuvres tant de présence, de puissance et d'authenticité ? En 1989 et 90, nombre de mes tableaux sont acquis par la galerie Gollong à Saint-Paul de Vence (France) ; puis par la galerie Hervieu, la librairie-galerie Matarasso à Nice ; puis par Pierre Voge, par Michel Pouzac, et par
Christian Zand qui demeure mon plus grand collectionneur en 2010.
urprenante modernité qui m'assaille et que je semble dédaigner dans sa représentation. Le contraste m'apparaît troublant ! Dans une certaine nécessité d'être "up to date", la gestion du temps qui passe est infiniment contradictoire lorsqu'elle impose à l'artiste une notion de progrès. Qu'une ombre déposée sur le corps d'une jeune femme belle aujourd'hui, par une lumière qui a perdu le lieu de sa source puisse échapper à la torpeur déduite d'une chose révolue, dépassée, abandonnée, cela suffit à penser qu'il est vain de compter les minutes, les heures, les années, parce que ces unités de temps se comptent par elles-mêmes, et ne nous appartiennent jamais en dépit que nous les ayons inventées. Cela suffit aussi à penser que si une œuvre d'art pouvait l'évoquer, son auteur mériterait de l'exprimer et de l'exprimer encore, fût-ce pour lui-même seulement. D'autres peintres ont joué magnifiquement de cette opportunité picturale d'énoncer une préoccupation philosophique voire métaphysique.
e peins peu de paysages. Toutefois les mondes minéral et végétal disposent d'un véritable pouvoir d'évocation dans mes tableaux, par l'exercice premier de ma technique : plâtre ou
ciment craquelé, empreinte de
feuilles d'arbres. À l'occasion de différents séjours que j'effectue au Danemark, en Allemagne, au Canada, en Belgique encore, en Italie et à Monaco ! et en France évidemment, la géographie changeante et refaçonnée par les humains au travers des siècles propose peut-être un autre élément structurel de mon oeuvre. Quoique sans y être explicitement proposée, cette évolution est perceptible lorsqu'elle juxtapose, depuis 2000, la nudité féminine aux motifs décoratifs qui prennent l'apparence d'une chose réelle, communément dite, et que ceux-ci ont pour fonction de
se superposer aux corps nus et de jeter sur eux une ombre souvent diaphane. Alors que la présence d'empreintes végétales réinventées et peintes subissent le même procédé, on peut découvrir dès les oeuvres de 1991 l'évocation certes tronquée de paysages quand les fonds colorés, granuleux, rupestres introduisent le concept d'un étrange temps passé, réanimé, remodelé par la main et l'esprit de l'artiste.
Que ce soit le modelé des volumes et son simple jeu de lumière et d'ombre, que ce soit la variance colorée quand s'opposent non plus le clair à l'obscur mais, par exemple,
des franges de rouge à d'autres de vert, une ambition de vouloir rester figuratif vaut de vouloir penser que la lumière et l'ombre ne sont plus seules à signifier, ni que la figuration d'un nu ne se satisfasse de lui. Mes figures sont irréelles ; et cependant qu'elles se révèlent être très présentes au spectateur, elles sont déroutantes aussi. Le profil d'un visage unique et répété au cours d'une trentaine d'oeuvres en 1997 tend vers l'icône. Or un nu et son visage répétitif éprouvent-ils ici leur vocation à devenir une icône ? Non ! car le discours n'y est pas fini. Que mon désir d'attribuer tel nu au portrait de telle Alexia, de telle Rosemary ou de telle Virginille conditionne les éléments abstraits de chaque tableau, ces nus ne sont pas inertes.
a présentation simultanée et contiguë de plusieurs tableaux apparemment semblables assure un attrait inattendu autant qu'elle invite à penser que ce chatoiement prête à mon discours une qualité d'être permanent mais varié, indéfini mais précis. Afin d'échapper au dogme d'une "diva célébrissime" ou d'une star ressuscitée, chaque nouveau tableau aime recevoir par dessus son image un court texte personnalisé. Un tel graffiti a pour usage d'être évidemment iconoclaste ! Que
le texte parcourt l'image de gauche à droite puis de droite à gauche, cela renvoie au phénomène du miroir dans une configuration doublement virtuelle. L'effet est magique ou mystérieux lorsque la personne prétendument portraitée découvre son image et tente de l'intégrer en elle-même, car l'intérêt de peindre une personne existante et proche est manifestement différent de celui d'une icône.
Pourtant, au titre d'un songe, toutes ces femmes peintes en plusieurs centaines de tableaux, de 1986 à 2012, semblent devancer avec intimité et impudence le spectateur, comme si à la pointe de l'introspection contemporaine cela restait possible d'être accompagné d'une idée chaleureuse et sympathique de soi-même.
1999-Montréal/Canada — 2010-Nice/France — 2012-Perros-Guirec/France
, 140x120cm, 1993.
Dans quel ordre de mes pensées n'est-il pas vain de croire que Caroline ressemble à ce portrait ? Jeune femme à l'imaginaire [si] merveilleux, elle a suscité en mon esprit un voyage désordonné dont je transcris des fragments. Si me convaincre d'une chose n'était jamais espérer qu'elle soit certaine, et bien que Caroline surgisse comme improbable, je peux croire qu'elle existe vraiment."
, 140x120cm, 1995.
Il a fait si chaud à Nice en ce mois de juillet que j'ai abandonné ma chambre d'hôtel et qu'un ami journaliste me proposait d'investir un rez-de-jardin au pied de sa villa. J'y ai hanté de mon ombre le jardin, nourri les deux chattes de mes délires solitaires, amusé d'autres locataires de mes errances picturales."
, ∅224cm, 2005.
Bonjour Marion, nous conversions plaisamment lorsque j'évoquai la peinture de Amadeo Modigliani dont je te tendis un simple ouvrage qui le présentait. Tu y choisis un portrait de femme nue, j'en pris un autre. Nous nous sommes ensuite amusés [de savoir] si nous préférions la savoir assise ou allongée. Je convins finalement avec moi-même de t'envisager, dans la prospective de consacrer à mon tour un portrait : j'oserais t'y faire apparaître de façon multiple et déliée, sans même pouvoir deviner si un jour le spectacle t'en serait offert."
, 108x68cm, 2005.
Bonjour Valérie, lorsque nous rencontrions ensemble la même nostalgie toute enjouée de la haute campagne varoise qui t'a vu naître puis devenir femme, je ne doutais guère que ton émotion partagée auprès de moi allait susciter en mon esprit l'envie irrésistible de te consacrer librement un portrait."
, 100x100cm, 2010.
Bonjour Morgane, notre rencontre du 09 juillet à la Perrosienne a illuminé les brumes de mon esprit d'une clarté à nulle autre [autre] pareille."